
Le Train Jaune : un patrimoine vivant au cœur de la lutte pour
dynamiser l’arrière-pays catalan
Alors que le littoral des Pyrénées-Orientales concentre 60 % des séjours touristiques et attire chaque été des centaines de milliers de visiteurs, l’arrière-pays catalan, avec seulement 15 % des séjours, reste en marge de ce dynamisme. Pourtant, il possède un véritable atout : le Train Jaune. Ce petit train électrique qui circule entre Villefranche-de-Conflent et Latour-de-Carol, à flanc de montagne, est bien plus qu’un simple transport ferroviaire. Il incarne à lui seul les enjeux de désenclavement, de patrimoine et de revitalisation de ce territoire rural.
Une ligne ferroviaire, pionnière de la modernité en Cerdagne
Né d’un projet politique et économique à la fin du XIX° siècle, le Train Jaune avait pour vocation d’affirmer l’autorité de la République en Cerdagne et de rattacher ce territoire, marqué par une forte influence catalane, au giron national. Paradoxalement, ce train est aujourd’hui devenu un emblème de la catalanité, revendiqué par certains comme l’expression même de l’identité catalane.
Aussi pensé pour desservir la station climatique de Font-Romeu, à une époque où le thermalisme se développe, et pour transporter le minerai de fer de la vallée, le Train Jaune fut une véritable prouesse technique : premier train de montagne électrifié de France. En 1904, la ligne atteint Font-Romeu, puis Latour-de-Carol en 1924. Bien plus qu’un simple projet d’aménagement, le Train Jaune symbolise l’arrivée de la modernité dans les hauts cantons. Son développement permet aussi la mise en place d’un réseau hydroélectrique qui alimente les villages de montagne avant même que Perpignan ne soit électrifiée !
Un train devenu un outil de lutte
Dans les années 1970 à 1990, alors que les menaces de fermeture commencent à planer, le combat pour le maintien du train est mené par les élus locaux, souvent des cheminots syndiqués à la CGT et membres du Parti Communiste. Mais à mesure que les cheminots cessent d’être élus, et déménagent en dehors de la vallée, le lien s’affaiblit. En 2015, la SNCF annonce vouloir fermer la ligne, sans réelle réaction politique. C’est alors qu’un collectif d’usagers prend le relais.
Le Comité d’Usagers de la Ligne du Train Jaune voit alors le jour sous l’égide de Georges Bartoli, un journaliste Catalan. En un mois, il compte déjà 300 adhérents : habitants, syndicalistes, élus de tous bords politiques. « On a obtenu une enveloppe de 14 millions d’euros pour la sauvegarde de la ligne. C’était un premier pas », se rappelle Georges. La présidente de la Région Occitanie, Carole Delga, s’implique, et la gestion du Train Jaune change d’échelle : désormais intégré au réseau de transports « liO », il est de nouveau géré comme un service public.
Mais sur le terrain, peu de choses changent. Horaires inadaptés, tarifs trop élevés, absence de correspondances efficaces. Le Train Jaune reste géré comme une attraction touristique. Aujourd’hui, le premier départ est à 10h30, bien trop tard pour les usagers du quotidien et il faut compter 25 euros l’aller en été « C’est un tour de manège, pas un outil de développement territorial », déplore Georges Bartoli.
Un potentiel inexploité
Aujourd’hui, le Train Jaune ne profite ni à ses usagers réguliers, ni aux villages qu’il traverse. « Tel qu’il est, il ne rapporte rien au territoire », tranche Georges Bartoli. Pourtant, les atouts ne manquent pas : des paysages à couper le souffle, des haltes dans des communes enclavées, et une gare d’arrivée internationale à Latour-de-Carol, connectée à Toulouse, Barcelone et même Paris ! La ligne est même inscrite au Patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 2002 et est jalonnée d’ouvrages d’art comme deux viaducs classés Monument Historique : le pont Séjourné et le pont Gisclard.
Mais la SNCF peine à en faire un véritable outil de mobilité. « Régularité, tarifs accessibles, confiance, correspondances : les quatre piliers d’un service public sont absents », déplore Georges Bartoli. En clair, les horaires ne permettent ni le trajet domicile-travail, ni une excursion touristique efficace qui profite au territoire.
Une « attraction » très demandée
Le train représente aujourd’hui l’une des premières demandes des touristes du Conflent. Selon l’Office de tourisme Conflent Canigou : « Il est juste derrière le Canigó, avec 80 % des demandes d’information. » En haute saison, le public est varié : familles, curistes, randonneurs, visiteurs de la côte. Le reste de l’année, il est peu fréquenté sauf par quelques amateurs de trains.
Pourtant, des initiatives existent, comme des packs séjours en partenariat avec la SNCF, sans succès notable. « Il faudrait une offre mieux pensée, intégrée aux réalités locales », ajoute Claire Broc, coordinatrice communication de l’Office de tourisme du Canigou.
Un levier pour les villages, à condition de changer de modèle
Le Train Jaune pourrait jouer un rôle structurant dans la dynamisation de l’arrière-pays catalan, à condition de dépasser le simple usage touristique. En repensant les horaires, les correspondances et en intégrant la ligne à une politique globale de mobilité durable, il deviendrait un véritable moteur économique. « On n’oppose pas service public et tourisme, le tourisme est aussi un service public », conclut Georges Bartoli.
Entre patrimoine identitaire, attrait touristique et utilité sociale, le Train Jaune témoigne de la manière dont un territoire peut s’appuyer sur ses infrastructures anciennes pour construire son avenir.



















